Nikiforos Diamandouros: "Le Médiateur européen, les droits fondamentaux et la future Constitution pour l'Europe"

Monsieur le Président, chers collègues, Mesdames et Messieurs,

Je voudrais tout d'abord remercier Madame Alifa CHAABANE FAROUK, Médiateur Administratif de la République Tunisienne, ainsi que Monsieur Bernard STASI, Président de l'A.O.M.F., de m'avoir invité à ce troisième Congrès Statutaire, qui a lieu dans le splendide cadre qu'offre le pays d'accueil.

C'est la première fois que j'ai l'honneur d'intervenir personnellement au Congrès. Lors des deux congrès précédents à Ouagadougou (Burkina Faso, 1999) et en Andorre (2001), c'est mon prédécesseur, Monsieur Jacob Söderman, qui s'est adressé à vous pour vous informer des derniers développements en matière de bonne administration au sein de l'Union européenne, et plus particulièrement du Code de bonne conduite administrative et de la Charte des Droits Fondamentaux.

J'en profite pour rendre hommage ici à mon prédécesseur qui a laissé des traces ineffaçables sur le fonctionnement des institutions européennes. Grâce à lui, les citoyens européens sont aujourd'hui confrontés à une administration européenne ayant un visage plus humain. Je suis fier de pouvoir continuer le travail qu'il a entamé.

A mon tour, j'aimerais vous entretenir sur le sujet le plus actuel des derniers mois, à savoir la future Constitution pour l'Europe, du point de vue du Médiateur européen. Avant cela, je voudrais toutefois retourner un peu dans le passé pour vous expliquer les efforts que le Médiateur européen a déployés au niveau de la Charte des Droits Fondamentaux et du Code de bonne conduite administrative.

La Charte des Droits Fondamentaux de l'Union européenne

La Charte des Droits Fondamentaux a été rédigée par une Convention présidée par Monsieur Roman HERZOG, ancien Président de la République Fédérale d'Allemagne. Elle a été proclamée à Nice le 7 décembre 2000 par les Présidents du Parlement européen, du Conseil et de la Commission européenne.

Le Médiateur européen a suivi de très près la rédaction de cette Charte et s'est engagé pour que la voix des citoyens européens reçoive un écho dans le texte finalement adopté. Bien qu'il n'ait été qu'Observateur auprès de la Convention chargée de l'élaboration du projet de la Charte, le Médiateur a pu exercer une influence significative sur la partie du texte concernant la Citoyenneté.

Le Médiateur a proposé à la Convention que la Charte comprenne parmi les droits fondamentaux, en plus des droits dits "classiques", le droit à une administration ouverte, responsable et au service des citoyens. Cette proposition était liée à l'idée que le citoyen ait le droit de voir ses affaires traitées correctement, avec équité et rapidité.

L'article 41 de la Charte "Droit à une bonne administration"

Le résultat de cette proposition est l'Article 41 de la Charte qui garantit le "Droit à une bonne administration", à savoir le droit de toute personne de voir ses affaires traitées impartialement, équitablement et dans un délai raisonnable par les institutions de l'Union. Ce droit comporte notamment le droit de toute personne d'être entendue, le droit d'accès au dossier personnel, ainsi que l'obligation pour l'administration de motiver ses décisions.

Cet article a déjà fait l'objet de beaucoup d'attention. Il s'agit, en effet, d'une première dans l'histoire des droits de l'homme, car la Charte semble être le premier texte international au monde en matière de droits de l'homme, qui consacre officiellement le droit à une bonne administration.

Je tiens à mentionner, qu'en plus du droit à une bonne administration, la Charte comporte également un droit d'accès aux documents (Article 42), le droit de se plaindre au Médiateur européen (Article 43) ainsi que le droit de pétition au Parlement européen (Article 44).

Le Médiateur européen a été l'un des premiers à faire référence à la Charte de Nice dans ses décisions. Par exemple, en se référant à l'Article 21 de la Charte, le Médiateur a obtenu que les institutions et organes communautaires abandonnent la discrimination fondée sur l'âge dans leurs procédures de recrutement.

Le Médiateur a également indiqué que le fait qu'une institution ou un organe communautaire omette de respecter les droits contenus dans la Charte, constitue un cas de mauvaise administration.

L'article 41 et le Code de bonne conduite administrative

L'article 41 de la Charte n'est évidemment qu'une énumération non exhaustive des principes de base d'une bonne administration. Pour que le droit devienne vraiment efficace pour le citoyen, il est évident qu'une Loi administrative européenne devrait être adoptée. Le Médiateur européen a donc proposé un Code de bonne conduite administrative qui a été approuvé par une résolution du Parlement européen du 6 septembre 2001. Lors du congrès précédent, vous avez reçu une copie de ce Code qui est disponible sous forme de brochure pour les citoyens européens.

Le Médiateur européen applique ce Code quotidiennement dans l'analyse des cas allégués de mauvaise administration. Il fait référence à ce Code dans ses décisions. C'est en fait le Parlement européen qui lui a demandé d'appliquer le Code dans sa résolution de septembre 2001.

Le Médiateur européen, les droits de l'homme et droits fondamentaux

Le Médiateur européen a un rôle essentiel à jouer dans la protection des droits de l'homme, des droits fondamentaux et des droits constitutionnels. Ce rôle deviendra encore plus important lorsque 10 nouveaux Etats membres, parmi lesquels plusieurs Etats de l'Europe de l'Est où les droits de l'homme ont une importance majeure, rejoindront l'Union au mois de mai 2004. Personne ne peut en effet nier que le fait de ne pas respecter ces droits constitue un cas de mauvaise administration. C'est plutôt un euphémisme de le dire ainsi. Surveiller que ses droits soient respectés entre donc dans la compétence du Médiateur.

Il est très important de souligner que, dans ce rôle de protection des droits fondamentaux, le Médiateur européen doit travailler en étroite collaboration avec les médiateurs nationaux, régionaux et locaux, ainsi qu'avec les organes similaires dans les Etats membres comme les commissions des pétitions nationales.

La collaboration avec les collègues dans les Etats membres s'impose, par ailleurs, du fait de ce qui est stipulé dans la Charte des Droits Fondamentaux à propos de son champ d'application. La Charte prévoit en effet (Article II-51) que ses dispositions s'adressent non seulement aux institutions, organes et agences de l'Union, mais aussi, dans le respect du principe de subsidiarité, aux Etats membres lorsqu'ils mettent en ouvre le droit de l'Union.

Concrètement, cela veut dire que, lorsqu'une administration nationale d'un Etat membre est appelée à appliquer le droit communautaire - par exemple dans une affaire de libre circulation à l'intérieur de l'Union -, elle doit veiller à ce qu'elle respecte les droits fondamentaux contenus dans la Charte. En cas de violation de ces droits, le citoyen pourra aller au tribunal ou avoir recours à un médiateur national. C'est à ce moment-là que le médiateur sera appelé à contrôler si les droits fondamentaux de l'Union ont été respectés dans un cas particulier.

C'est donc dans cette perspective que je voudrais maintenant vous parler de la contribution du Médiateur européen à la future Constitution pour l'Europe.

La Convention européenne sur l'avenir de l'Europe

C'est le Conseil européen de Laeken qui, en décembre 2001, a convoqué la Convention européenne sur l'avenir de l'Europe, chargée de rédiger le Projet de Traité Constitutionnel. La Convention a terminé ses travaux et adopté par consensus le Projet de Traité les 13 juin et 10 juillet 2003.

C'est maintenant à la Conférence Intergouvernementale, qui a été convoquée le 4 octobre 2003 par la Présidence italienne de l'Union pour sa première session, d'adopter le texte final du Traité. Les travaux devraient se terminer au mois de décembre et il est prévu que la signature du nouveau Traité aura lieu entre le 1er mai 2004 et la date des élections européennes.

Le Médiateur européen a participé de près aux travaux de la Convention. Comme c'était le cas auprès de la Convention chargée de rédiger la Charte des Droits Fondamentaux, le Médiateur européen a été Observateur auprès de la Convention sur l'avenir de l'Europe. Dans cette capacité, il a fait plusieurs propositions à la Convention. Je voudrais vous faire part des plus importantes.

Le Médiateur européen et le projet de Traité Constitutionnel

Premièrement, dès le début des travaux de la Convention, le Médiateur européen a soutenu l'idée que la Charte des Droits Fondamentaux devrait être incluse dans le futur Traité. Ceci s'est maintenant réalisé, car la Convention même a décidé d'inclure la Charte comme Partie II dans son Projet de Traité établissant une Constitution pour l'Europe. Une fois ce Traité adopté, les droits contenus dans cette Charte seront contraignants dans tous leurs aspects.

Toutefois, au début des travaux de la Convention, ceci ne semblait ni évident ni acquis, étant donné toute la discussion autour de la valeur contraignante ou non de la Charte, ainsi que la question s'il fallait inclure le texte intégral de la Charte dans le Traité ou uniquement se référer à la Charte dans le Traité et inclure le texte même dans une annexe au Traité. Heureusement pour les citoyens européens, c'est la meilleure option qui a été retenue par la Convention, c'est-à-dire l'intégration du texte entier de la Charte dans le Projet de Traité.

La proposition du Médiateur pour une Loi administrative européenne

Deuxièmement, le Médiateur a proposé à la Convention sur l'avenir de l'Europe que la Constitution devrait inclure la bonne administration comme un des objectifs de l'Union (dans son Article 3) et qu'elle devrait également inclure un article comme base juridique pour l'adoption d'une loi sur la bonne administration. Cette proposition a été retenue dans l'Article III-304 du Projet de Traité qui stipule que "dans l'accomplissement de leurs missions, les institutions, les organes et les agences de l'Union s'appuient sur une administration européenne ouverte, efficace et indépendante". (_) la loi européenne fixe les dispositions spécifiques à cet effet."

Il semble maintenant que notre proposition sera suivie de mesures concrètes, car le Secrétaire Général de la Commission et la Commissaire responsable des relations avec le Médiateur et le Parlement, Loyola DE PALACIO, ont indiqué que la Commission envisage de rédiger un projet de Loi administrative européenne au cours de l'année prochaine, afin que cette loi puisse être adoptée rapidement, une fois que la Constitution entrera en vigueur.

La nécessité de mentionner les voies de recours judiciaires et non judiciaires

Finalement, il est très important que les citoyens européens sachent quelles sont leurs possibilités de recours dans le cas ou leurs droits, y inclus ceux qu'ils ont hérités du droit de l'Union - ce qui comprend bien sûr les droits fondamentaux contenus dans la Charte -, sont violés.

En cas de violation de ces droits, les citoyens ont la possibilité non seulement de s'adresser à un tribunal dans un État membre, mais aussi d'avoir recours à un Médiateur national ou à une commission des pétitions. De même, au niveau européen, le citoyen a la possibilité d'aller au Tribunal de première instance (ou, indirectement, à la Cour de justice, à travers une question préjudicielle) ou d'adresser une plainte au Médiateur européen.

Aussi bien mon prédécesseur, Monsieur Söderman, que moi-même avons demandé à la Convention que soit clairement inscrit, dans le futur Traité Constitutionnel, un chapitre ou au moins une mention explicite sur le système de voies de recours judiciaires et non-judiciaires. Notre suggestion n'a été retenue que partiellement. Je continue toutefois à déployer tous les efforts possibles pour que les voies de recours non judiciaires soient aussi incluses dans le Traité.

Il faut dire que, initialement, dans le projet de Traité circulé en octobre 2002, la Convention avait même oublié de mentionner la possibilité de se plaindre au Médiateur, alors que l'institution du Médiateur européen a été instaurée par le Traité de Maastricht. Cette lacune a été portée à l'attention de le Convention et a ensuite heureusement été rectifiée.

Le Médiateur européen dans le Projet de Traité

Le Médiateur européen est maintenant mentionné 4 fois dans le Projet de Traité, à savoir dans :

    le Titre sur les droits fondamentaux et la citoyenneté de l'Union (Article 8) ;

    le Titre sur la vie démocratique de l'Union (Article 48) ;

    la Charte (Partie II du Traité), Article II-43 ; et

      les dispositions institutionnelles concernant le Parlement européen, Article III- 237, qui correspond à l'actuel Article 195 du Traité CE.

Je tiens à signaler ici que les Articles 48 et III-237 du projet de Traité mentionnent erronément que le Médiateur européen est "nommé" par le Parlement européen. Etant donné qu'il s'agit en fait d'une élection par les 626 députés du Parlement - ce qui atteste du caractère démocratique de l'institution, le Médiateur européen étant dès lors un médiateur "parlementaire", j'ai demandé que cette mention soit rectifiée au cours de la Conférence Intergouvernementale.

La possibilité pour les citoyens de s'adresser aux tribunaux nationaux est maintenant aussi incluse dans le Projet de Traité, car l'Article II-47 prévoit que "toute personne dont les droits et libertés garantis par le droit de l'Union ont été violés a droit à un recours effectif devant un tribunal (_)".

Cependant, les possibilités de recours non judiciaires, à savoir de s'adresser aux médiateurs nationaux et aux commissions des pétitions dans les Etats membres, ne sont toujours pas mentionnées dans le Projet de Traité.

Récemment, lors de la présentation du Rapport Annuel 2002 au Parlement européen, j'ai à nouveau insisté - et je continuerai à le faire - sur le fait que le Traité devrait inclure une référence à ce système de recours non judiciaires. Ceci pourrait se faire, par exemple, dans la Partie III du Traité.

La Commission ainsi que le Parlement soutiennent notre initiative. Le Parlement européen a récemment adopté un rapport sur le Projet de Traité (de José-Maria GIL-ROBLES et Dimitris TSATSOS) dans lequel il est suggéré que "le Médiateur européen, élu par le Parlement européen, et ses homologues nationaux proposent un système plus global de voies de recours extrajudiciaires, en coopération étroite avec le Commission des pétitions du Parlement européen".

Il est maintenant à espérer que le Conseil suivra aussi la suggestion que nous avons faite. Ce serait un vrai progrès pour les citoyens européens qui sont encore trop souvent tenus à l'écart de l'intégration européenne.

Je vous remercie de votre attention.

3ème Congrès statutaire de l'A.O.M.F. (Association des Ombudsmans et Médiateurs de la Francophonie), 15 octobre 2003